Le 11 septembre 2015, la Cour d’appel du Québec (ci-après la « Cour ») rendait, dans l’affaire Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc.[1] , une décision majoritaire très intéressante pour de nombreux pharmaciens-propriétaires québécois.
Les faits
Les Pharmaciens Gosselin et Bérubé ainsi que leur société de gestion (ci-après les « Pharmaciens ») exploitaient une pharmacie dans l’immeuble leur appartenant et étaient affiliés à Uniprix depuis 1998. La convention d’affiliation (ci-après la « Convention ») comportait la clause de renouvellement suivante :
« 10. DURÉE Nonobstant toutes dispositions écrites ou verbales contraires, la présente convention débutera le jour de sa signature et demeurera en vigueur pour une période de soixante (60) mois ou pour une période égale à la durée du bail du local où est située la pharmacie. LE MEMBRE devra, six (6) mois avant l’expiration de la convention, faire signifier à LA COMPAGNIE son intention de quitter LA COMPAGNIE ou de renouveler la convention; À défaut par LE MEMBRE d’envoyer l’avis prescrit par poste recommandée, la convention sera réputée renouvelée selon les termes et conditions alors en vigueur [...]. » Six (6) mois avant l’expiration de la Convention, Uniprix transmettait aux Pharmaciens un « avis de non-renouvellement » spécifiant que la clause 10 précitée était à son bénéfice et qu’elle avait décidé de ne pas s’en prévaloir. Les Pharmaciens ont contesté cet avis.
Nous comprenons du jugement, qu’il est ressorti de la preuve en première instance qu’Uniprix avait déjà sous-loué un local près de la pharmacie visée afin d’empêcher une bannière concurrente de s’installer dans la municipalité au moment de la transmission de l’avis. La Convention ne lui donnant pas le pouvoir de forcer un déménagement, Uniprix chercha à convaincre les Pharmaciens de déménager au nouvel emplacement, ce qui fut refusé par ces derniers, notamment en raison du fait qu’ils étaient propriétaires de leur local.
Les Pharmaciens ont contesté cette prétention arguant qu’Uniprix ne pouvait agir de la sorte suivant les termes de la Convention.
Le jugement
Le Juge Lévesque, au nom de la majorité, résume ainsi la question en litige et son opinion :
« Ce qui est à la source du litige est donc une transformation du rôle de l’appelante. Selon le contrat, elle est au service de ses membres, comme les intimées, et n’a été créée que pour remplir cette fonction. Or, cette créature juridique essaie de s’arroger un rôle dans les décisions d’affaires des intimées. Cela dépasse largement ce qui a été convenu au départ en vertu du contrat d’affiliation. D’une manière plus imagée, la corporation essaie d’anéantir tout le pouvoir décisionnel de ses créateurs en les entraînant de force dans un projet qui n’est pas, selon eux, à leur avantage. Voyant qu’ils ne veulent pas la suivre, elle essaie maintenant de mettre fin à la relation d’affaires en invoquant un moyen qui n’est pas prévu au contrat et qui est même contraire à ses engagements. » Et plus loin, il donne gain de cause aux Pharmaciens en s’exprimant ainsi.
« Rien dans la preuve ne tend à établir que l’appelante se trouve dans une position vulnérable. Il vaut se rappeler que le contrat qui lie les parties a été rédigé par celle-ci et qu’il s’agit d’un contrat type applicable à tous les membres affiliés. Dans le même ordre d’idées, plusieurs arguments peuvent militer en faveur de la reconnaissance de l’application à long terme des obligations de l’appelante. Tout d’abord, elle se décrit comme une « entreprise de services, d’achats et de promotions créée pour le bénéfice de pharmaciens-propriétaires ». Ensuite son objectif est de réunir des pharmaciens- propriétaires dans le but de promouvoir leurs intérêts. Puis, les entreprises ne travaillent pas pour leur propre bénéfice puisque les pharmaciens-propriétaires sont actionnaires de l’appelante. Il serait, à tout le moins, contraire à l’esprit de la lettre, dans un tel contexte, de lui permettre de larguer purement et simplement ses membres, selon son bon plaisir. J’ajouterai finalement que l’appelante ne se trouvait pas dans une situation qui lui permettait de recourir à une résiliation de l’entente moyennant un préavis raisonnable, puisque la bonne foi exigée en pareille situation ne peut lui être, vu les circonstances, reconnue. » Commentaires
Nous retenons de cette décision, les trois (3) éléments suivants :
Il s’agit d’une excellente illustration, premièrement, du principe selon lequel les droits et obligations mutuels des parties doivent s’analyser à la lumière de l’objet de leur entente et deuxièmement, de l’obligation d’agir de bonne foi.
Finalement, la Cour souligne l’autonomie du membre affilié dans la gestion de ses affaires.
[1] 2015 QCCA 1427