UNIPRIX INC. C. GESTION GOSSELIN ET BÉRUBÉ INC. (PARTIE 2)

Par Me Yves Paré, LL.B., M. Fisc.

Retour aux articles

Dans un jugement[1], impliquant Uniprix inc. (« Uniprix ») et des pharmaciens-propriétaires de Saint-Lambert-de-Lauzon (« Pharmaciens-propriétaires »), la Cour suprême du Canada analysait le « Contrat type » qu’utilise le plus important regroupement de pharmaciens indépendants du Québec comme entente avec les pharmaciens-propriétaires affiliés à celui-ci.

Les juges majoritaires du plus important tribunal au pays viennent ainsi confirmer les décisions rendues par la Cour Supérieure et la Cour d’appel du Québec.

Le tout débute en janvier 1998 alors que les Pharmaciens-propriétaires décident de s’affilier à Uniprix, par contrat d’affiliation, afin d’opérer sous la bannière exploitée par cette dernière. Cette entente prévoit un renouvellement automatique, à moins d’avis contraire des Pharmaciens-propriétaires, sous les termes suivants :

10. DURÉE : Nonobstant toutes dispositions écrites ou verbales contraires, la présente convention débutera le jour de sa signature et demeurera en vigueur pour une période de soixante (60) mois ou pour une période égale à la durée du bail du local où est située la pharmacie. LE MEMBRE devra, six (6) mois avant l’expiration de la convention, faire signifier à LA COMPAGNIE son intention de quitter LA COMPAGNIE ou de renouveler la convention;
À défaut par LE MEMBRE d’envoyer l’avis prescrit par poste recommandée, la convention sera réputée renouvelée selon les termes et conditions alors en vigueur [...].

Par l’effet de cette clause, le contrat est renouvelé automatiquement à deux reprises, en 2003 et en 2008. Uniprix tente finalement de mettre fin à cette relation d’affaires en transmettant un avis de non-renouvellement aux Pharmaciens-propriétaires le 26 juillet 2012, croyant la clause décrite plus haut à son bénéfice.

Bien que les agissements d’Uniprix dans le présent dossier soient critiqués par la majorité des juges de la Cour d’appel du Québec, tel qu’expliqué dans le cadre d’un précédent un article, ce sont plutôt les règles de qualification et d’interprétation des contrats qui occupent la majeure partie de la décision.

À l’occasion de ce débat, les procureurs d’Uniprix prétendent qu’il est possible de s’opposer à la clause de renouvellement et ainsi mettre fin au contrat dès sa durée écoulée. Ce raisonnement s’appuie sur la prémisse que l’interprétation contraire ferait en sorte de potentiellement lier les parties à perpétuité et que cela contreviendrait à l’ordre public. Les procureurs ajoutent que, le cas échéant, le contrat serait alors un contrat à durée indéterminée et il serait alors possible d’y mettre fin en tout temps moyennant un préavis raisonnable, tel que le Code civil du Québec le permet. Les procureurs des Pharmaciens-propriétaires soutiennent plutôt que rien dans la clause de renouvellement ne permet à Uniprix de s’opposer au renouvellement automatique.

Dans l’analyse de ces prétentions, les juges majoritaires de la Cour suprême déterminent d’abord que la clause en question est claire et sans ambiguïté. Le rôle du tribunal se limite alors à appliquer la situation factuelle qui lui est soumise. La clause en question donne spécifiquement un droit unilatéral aux Pharmaciens-propriétaires de renouveler ou non le contrat, et qu’à défaut de transmission d’un avis, le contrat sera renouvelé automatiquement. Cette interprétation est d’ailleurs cohérente avec le contexte entourant la conclusion du contrat.

La majorité du tribunal, sous la plume des juges Wagner et Gascon, écrit que « Le fait que la durée des obligations d’Uniprix aux termes du contrat d’affiliation dépend de la volonté des pharmaciens-membres de le renouveler ne transforme pas le contrat en un contrat à durée indéterminée » [2], faisant alors échec à l’un des arguments des procureurs d’Uniprix.

Le tribunal enchaîne avec la conclusion que « Ni les dispositions du Code, ni la doctrine, ni la jurisprudence n’appuient la position selon laquelle un contrat d’affiliation ayant potentiellement des effets perpétuels est contraire au droit civil québécois »[3], le tout en se basant sur le fait que, dans un contexte de partenariat corporatif et commercial, la liberté individuelle des contractants n’est pas en jeu et que la volonté des parties, dans les présentes circonstances, n’est pas contraire à l’ordre public.

Le tribunal donne ainsi raison aux Pharmaciens-propriétaires et le contrat est renouvelé automatiquement malgré l’avis envoyé par Uniprix en juillet 2012. Nous retenons de cette décision deux notions importantes :

1. Le fait de prévoir le renouvellement automatique au gré d’une seule partie n’a pas pour effet de transformer le contrat en contrat à durée indéterminée. Cette conclusion est d’importance puisque la qualification du contrat entraîne différents scénarios quant à sa résiliation. En effet, un contrat à durée indéterminée peut toujours prendre fin par la transmission d’un préavis raisonnable, tandis qu’un contrat à durée déterminée peut prendre fin par la transmission d’un préavis raisonnable seulement si le contrat le prévoit.

2. Dans un contexte commercial, rien en droit québécois n’empêche les parties de s’entendre sur un contrat qui peut, dans les faits, être perpétuel.

De ce qui précède, il n’est pas trop prudent d’affirmer qu’il faut être des plus vigilant dans le choix des termes utilisés dans un contrat commercial afin de refléter convenablement la volonté des parties.

[1] 2017 CSC 43 (CanLII).

[2] Id, p.7.

[3] Id., p.8.